André BRETON et L’Astrologie

Nous fêtons ce 15 octobre 2024 le centenaire du manifeste du surréalisme. L’exposition qui lui est consacrée jusqu’au 13 janvier prochain au centre Georges Pompidou à Paris témoigne de l’importance qu’a eu ce mouvement et qu’il continue d’avoir.

André Breton est le porte-parole d’un groupe qui a commencé à être actif en 1919. Il fonde en effet en mars 1919 avec Louis Aragon et Philippe Soupault la revue Littérature et deux mois plus tard il publie avec Philippe Soupault Champs magnétiques un ouvrage qui illustre l’approche du surréalisme. Ce livre, fruit d’une collaboration, applique l’écriture automatique, l’une des innovations prônées par le mouvement surréaliste.

 

Comme l’a aussi repéré Fabrice Pascaud, il est intéressant de noter qu’Aragon, Soupault et Breton ont des configurations communes liées au fait qu’ils sont nés tous les trois à quelques mois d’écart. Tous les trois ont une conjonction Neptune-Pluton et une conjonction Saturne-Uranus. Au passage vous noterez que lors du printemps 1919 Saturne et Uranus étaient en opposition et qu’en 1924 Uranus était au trigone de lui-même, ce qui montre l’importance d’Uranus et de l’aspect Saturne-Uranus pour comprendre la nature, la solidité, la durée et la postérité du mouvement surréaliste.

 

Les astrologues ont longtemps hésité sur les coordonnées de naissance d’André Breton…

André Barbault et les Gauquelin le faisaient naître à Tinchebray (Orne) le 18 février à 22h30 avec un Soleil en Verseau tandis que Jacques Berthon le faisait naître le 19 février à 22h avec un Soleil en Poissons. Moi-même j’avais de l’état-civil des informations encore différentes.

 

Petite anecdote au passage. J’étais, lors d’un de mes déplacements, tout près de Tinchebray. J’en ai profité pour me rendre à la mairie. La personne de l’état-civil n’a pas voulu me communiquer l’extrait d’acte de naissance d’André Breton. Je lui ai alors demandé de parler avec son chef. Ayant sans doute peur de subir des reproches de sa part elle est allée chercher le registre de l’année 1896 et l’a mis à ma disposition, ce qu’en réalité elle n’avait pas le droit de faire pour des raisons de confidentialité. J’ai pu tranquillement consulter ses données d’état-civil, sa date de naissance comme celles de ses trois mariages, etc. Je me suis alors rendu compte que l’une des quatre données correspondait non à sa naissance mais à celle de la personne déclarée juste avant André Breton (il faut le faire…), qu’une autre reprenait l’heure de déclaration et non l’heure de naissance. Le thème avec le Soleil en Verseau qu’André Barbault avait publié dans la collection du Seuil se révélait être faux. En revanche le thème avec un Soleil en Poissons proposé par Jacques Berthon était le bon. L’erreur d’André Barbault était pardonnable car il avait repris les données transmises par André Breton lui-même. Ce dernier – et il n’est pas le seul – avait triché sur sa date de naissance…. Fabrice Pascaud – notre grand spécialiste d’André Breton – vous en dira plus.

Mais revenons à notre mouvement surréaliste.

A l’automne 1924, André Breton estime qu’il est temps de faire le bilan de l’activité du groupe qu’il anime depuis plusieurs années. Ce groupe – reprenant un terme proposé par Guillaume Apollinaire – se définissait comme surréaliste. Ces jeunes poètes avaient en commun avec les dadaïstes un dégoût de la société bourgeoise qui les avait entraînés dans une longue guerre absurde. Mais ils n’approuvaient ni le manque d’émotion du dadaïsme ni les violences qui avaient lieu lors des expositions Dada.

 

Lorsqu’André Breton publie un recueil de 31 poèmes en prose intitulé Le poisson soluble – ce qui est bien dans la note d’un Soleil en Poissons… – il en profite pour faire précéder ces poèmes d’une longue préface intitulée Le Manifeste du surréalisme. Ces poèmes sont une illustration poétique de la théorie surréaliste. L’histoire n’a retenu que la préface du livre. Etant donné le succès de cette préface, ce Manifeste fera par la suite l’objet d’une publication à part.

 

André Breton y rend hommage à Freud. « Nous vivons, souligne André Breton, sous le règne de la logique (…) mais l’imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits. Si les profondeurs de notre esprit recèlent d’étranges forces capables d’augmenter celles de la surface, ou de lutter victorieusement contre elles, il y a tout intérêt à les capter, à les capter d’abord, pour les soumettre ensuite, s’il y a lieu, au contrôle de notre raison ».

Et André Breton de recommander la lecture des oeuvres de Freud qui souligne à juste titre l’importance des rêves. Il trouve en effet indispensable de soumettre le rêve à un examen méthodique afin de tirer profit de ce qu’il peut nous apprendre : « je crois, affirme-t-il, à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire. C’est à sa conquête que je vais (…). »

 

André Breton accorde une place centrale à l’imagination qui « fait à elle seule les choses réelles ». Il est regrettable qu’ « aux environs de la vingtième année elle préfère, en général, abandonner l’homme à son destin sans lumière ».  Parce qu’elle est très vive quand nous sommes enfant, André Breton recommande de retrouver l’esprit d’enfance « qui approche le plus de la vraie vie », où « tout concourait (…) à la possession efficace, et sans aléas, de soi-même ». Toujours cette quête du surréalisme de faire coïncider le réel et l’imaginaire.

 

André Breton a proposé une définition du surréalisme qu’il veut définitive. Il est bon de s’en souvenir :

« Automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée.

Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.

Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaine forme d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée ».

 

Rien donc d’étonnant à ce qu’André Breton se soit intéressé à l’astrologie. C’est le médecin astrologue Pierre Mabille (1904-1952) qui l’a initié à notre discipline. Ceux qui ont visité l’exposition parisienne ont pu voir le thème de Robert Desnos  dessiné par André Breton.

D’autres thèmes dessinés par André Breton figurent sur Internet. Voici les liens pour voir les thèmes de

Louis Aragon (dessiné à la fin des années 20) 

https://www.andrebreton.fr/work/56600100657960

et de Philippe Soupault (dessiné dans les années 50)

https://www.andrebreton.fr/fr/work/56600100037060

 

Ces deux thèmes sont réalisés avec le Bélier à gauche. André Breton ajoutait dans ses premiers thèmes les projections des aspects des planètes, ce qui nuit à la clarté du thème. Il ne fait plus cet ajout dans ses derniers dessins, ce qui facilite la lecture du thème.

 

Le poète astrologue Jean Carteret et le psychanalyste astrologue Roger Knabbe avaient interviewé en 1954 André Breton à propos de l’astrologie. La réponse à la question : « Estimez-vous l’astrologie » est devenue très célèbre. Elle est reprise dans nombre d’articles et de livres :

 

Estimez-vous L’ Astrologie ?

C’est, à mon regard, une très grande dame, fort belle et venue de si loin qu’elle ne peut manquer de me tenir sous le charme. Dans le monde purement physique je n’en vois pas dont les atours puissent rivaliser avec les siens. Elle me parait, en outre, détenir un des plus hauts secrets du monde. Domma­ge qu’aujourd’hui — au moins pour le vulgaire — trône à sa place une prostituée.

 

La réponse à une autre question est fort intéressante. C’est celle où André Breton nous montre ce qu’il apprécie dans l’astrologie :

Partant de l’astrologie considérée comme jeu lyrique, iriez-vous jusqu’à l’Astrologie admise comme instrument d’une architecture des rapports dans l’univers ?

N’étant pas géomètre, moins encore au sens antique du terme, je n’ai pas qualité pour en débattre. Ce que j’ai toujours apprécié au plus haut degré dans l’astrologie, ce n’est pas le jeu brique auquel elle prête mais bien le jeu multidialectique qu’elle nécessite et sur lequel elle se fonde. Indépendamment des moyens d’appréciation très subtile qu’elle procure et des pré­visions qu’elle autorise, je tiens encore sa méthode pour le plus fécond exercice d’assouplissement de l’esprit. Démêler une destinée à partir de la situation des planètes et de leurs aspects mutuels dans les différents signes et maisons par rapport aux points focaux de l’ascendant et du milieu du ciel, suppose un tel doigté que cela devrait suffire à frapper de dérision, à con­vaincre d’enfantillage les modes habituels de raisonnement syn­thétique.

 

André Breton avait répondu à sept autres questions. Vous pouvez en consulter les réponses en Post Scriptum.

 

Afin de parfaire votre connaissance des liens qu’entretenait André Breton avec l’astrologie, je vous conseille de lire le texte de la conférence de Fabrice Pascaud dont voici le lien pour  y accéder :

 

https://www.melusine-surrealisme.fr/wp/andre-breton-et-lastrologie-par-f-pascaud

 

Ce manifeste a eu une postérité considérable. Il a influencé nombre d’artistes, notamment des peintres et des cinéastes. Impossible d’être exhautif. Citons quelques noms : Salvador Dali, Max Ernst, Giorgio De Chirico, René Magritte, Joan Miro, Luis Bunuel. Ce manifeste est plus que jamais d’actualité. La logique est hyper-présente depuis l’avènement de l’ordinateur et de l’internet. Nous assistons au règne des GAFAM et de l’intelligence artificielle avec des automates qui nous envahissent partout. L’imagination, l’attention à nos rêves, sont plus que jamais nécessaires pour compenser les excès de la logique. Merci à André Breton et aux surréalistes de nous inviter à réunir comme une grâce « le rêve et la réalité ».

 

POST SCRIPTUM

Estimez-vous l’Astrologie ?

C’est, à mon regard, une très grande dame, fort belle et venue de si loin qu’elle ne peut manquer de me tenir sous le charme. Dans le monde purement physique je n’en vois pas dont les atours puissent rivaliser avec les siens. Elle me parait, en outre, détenir un des plus hauts secrets du monde. Domma­ge qu’aujourd’hui — au moins pour le vulgaire — trône à sa place une prostituée.

L’intérêt à l’Astrologie peut-il développer dans l’homme une conscience plus profonde de lui-même et du monde ?

A coup sûr : dans la mesure même où l’astrologie tend à ne faire qu’une de la conscience qu’il peut avoir de lui-même et de celle qu’il peut avoir du monde.

L’Astrologie est-elle uniquement une création par l’hom­me ou une formulation de l’univers ressenti par l’homme ?

Comme précisément elle est une formulation — des plus éclatantes — des rapports de l’homme avec l’univers, pour moi le problème ne se pose pas. A moins d’imbécile vanité de sa part, cet homme doit tout de même savoir qu’il ne « crée » pas, qu’il lui est tout juste permis de dévoiler un peu du voilé (quitte à revoiler autant ou plus du préalablement dévoilé) et de libérer des énergies qui étaient en puissance dans la nature. Ceci, qui s’applique à la découverte de Neptune comme à celle de la pénicilline, me paraît devoir suffire à son ambition.

L’Astrologie peut-elle être considérée comme un mode de développement objectif des pouvoirs poétiques de l’homme ?

Tant que les astrologues, scrutant réellement le ciel noc­turne, se sont laissé imprégner de tout ce qui en émane pour en rapporter les scintillations à la nuit de l’existence humaine, oui, tous les pouvoirs poétiques étaient mis en jeu. Depuis l’appa­rition des éphémérides — si pratiques et, qui mieux est, n’est- ce-pas, à la portée de tous ! — je doute qu’ils les gardent en mains.

Quels rapports les surréalistes ont-ils eus avec l’astro­logie ?

Des rapports malheureusement épisodiques .et tout indi­viduels. Non seulement l’astrologie, comme la poésie, exige qu’on se consacre entièrement à elle mais encore elle requiert de vous des signes de prédestination particuliers. En ce qui me concerne, les rudiments de l’astrologie m’ont été apportés vers 1927. Par la suite, Pierre Mabille m’a fait quelque peu bénéficier de sa grande connaissance du sujet et m’a entr’ouvert Fludd, pour me permettre de passer outre à l’affligeante médiocrité de la plupart des traités modernes. D’une manière générale, les surréalistes ont considéré l’astrologie avec un vif intérêt, mais surtout sous l’angle poétique et sans s’y aventurer bien loin.

Partant de l’astrologie considérée comme jeu lyrique, iriez-vous jusqu’à l’Astrologie admise comme instrument d’une architecture des rapports dans l’univers ?

N’étant pas géomètre, moins encore au sens antique du terme, je n’ai pas qualité pour en débattre. Ce que j’ai toujours apprécié au plus haut degré dans l’astrologie, ce n’est pas le jeu brique auquel elle prête mais bien le jeu multidialectique qu’elle nécessite et sur lequel elle se fonde. Indépendamment des moyens d’appréciation très subtile qu’elle procure et des pré­visions qu’elle autorise, je tiens encore sa méthode pour le plus fécond exercice d’assouplissement de l’esprit. Démêler une destinée à partir de la situation des planètes et de leurs aspects mutuels dans les différents signes et maisons par rapport aux points focaux de l’ascendant et du milieu du ciel, suppose un tel doigté que cela devrait suffire à frapper de dérision, à con­vaincre d’enfantillage les modes habituels de raisonnement syn­thétique.

Que pensez-vous de l’Astrologie comme langue d’or de l’analogie, ce que seraient à la musique, le contrepoint et l’har­monie ?

Je dois partiellement me récuser, faute de vocabulaire musical. Que l’astrologie soit la «langue d’or» de l’analogie, celle qui tend à permettre les plus grands échanges entre l’hom­me et la nature en établissant entre eux tout un réseau de loca­lisations qui se correspondent, je ne saurais y contredire. Rien ne révèle, en effet, plus ardente aspiration à l’harmonie (au sens où Fourier entendit ce mot).

Devant l’audience difficile de l’Astrologie sur le plan de la qualité, que pensez-vous de la responsabilité des astrologues ?

J’estime que cette responsabilité est écrasante et que le « Centre International d’Astrologie » devrait, de toute urgence, mettre en garde l’opinion contre les entreprises vénales et l’exploitation éhontée de la crédulité qui sont en passe de la déconsidérer définitivement (horoscopes des journaux, etc…)

Quels rapports voyez-vous entre le plan du libre arbitre et celui de la prédiction ?

Ceci nous ramène, je crois, au cas de Jérôme Cardan se laissant mourir de faim à soixante-quinze ans pour réaliser la prédiction de son horoscope et ne pas faire mentir l’astrologie. Je ne vois rien à ajouter à ce que dit, à ce propos, Grillot de Givry : « C’est donc au moyen du libre-arbitre que la fatalité a pu s’accomplir, dirent les partisans du libre-arbitre ; mais leurs adversaires soutinrent que l’événement fatal n’en était pas moins advenu, et qu’il était écrit dans le livre du destin qu’il devait mourir de faim, quelle que fût la raison de ce genre de mort. »

(Interview de Jean Carteret et Roger Knabe paru dans le N°12 de la revue du CIA Astrologie Moderne, 1954.)

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Yves Lenoble