L'astrologie mondiale de Nostradamus
Je remercie Jaume Martin d’avoir bien voulu accepter que dans ce congrès sur l’astrologie mondiale je vous parle de Nostradamus à travers l’almanach de 1566. Nostradamus est l’un des astrologues les plus célèbres au monde. Mais sa vie et son œuvre sont encore très mal connues, aussi bien du monde universitaire que des astrologues. Pourtant il suffit de lire les almanachs de Nostradamus pour en savoir plus sur la manière dont cet astrologue envisageait l’astrologie mondiale. Nous allons effectuer notre recherche sur l’almanach de 1566.On peut tout à fait résumer l’opinion du milieu universitaire par ce jugement de Jim Tester dans « A history of Western Astrology » : « Nostradamus pratiqua l’astrologie, c’est vrai mais seulement comme charlatan et parmi d’autres formes d’occultisme ». Les astrologues eux aussi n’attachent guère d’importance à Nostradamus.
James Herschel ne le mentionne pas dans son « A History of horoscopic astrology ». On ne connaissait de Nostradamus voici vingt ans qu’une biographie sommaire et les quatrains de ses centuries à qui on faisait dire tout et son contraire. La publication de la correspondance de Nostradamus en 1983 par Jean Dupèbe a apporté des informations nouvelles sur Nostradamus, notamment sur son activité d’astrologue. L’étude de la vie et de l’œuvre de Nostradamus a quelque peu progressé depuis la publication de cette correspondance.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce ne sont pas les quatrains des Centuries qui ont fait connaître Nostradamus, ce sont d’abord ses exploits dans la lutte contre la peste puis la publication de ses almanachs. Suite à la publication de l’almanach de 1555 il est invité dès l’été à Paris par le roi Henri II. Et c’est tout d’un coup la célébrité. Il continuera jusqu’à sa mort la publication de ses almanachs et, grâce à ce succès, il développe à partir de 1557 une importante clientèle astrologique. Comment Nostradamus avait conçu son almanach ? Quelles innovations expliquent ce succès si rapide ?
Nous avons choisi pour répondre à cette question d’étudier l’almanach de 1566. Nous avons la chance de posséder grâce au québécois Maurice Poulain une reproduction complète de cet almanach qui se trouve par ailleurs l’avant dernier écrit par Nostradamus. On peut de ce fait le considérer comme vraiment significatif de la méthode utilisée par Nostradamus.
L’almanach de 1566 comporte quatre grandes parties (pour plus de détails voir l’annexe I)
– un premier calendrier (ephemerides en latin) indiquant pour chaque mois un quatrain et pour chaque jour le signe occupé par la Lune à midi, la date et l’heure des phases lunaires, de brefs pronostics
– l’indication des âges du monde, des dates des fêtes mobiles, des périodes où les mariages sont possibles et des jours d’éclipses
– un second calendrier et ses quatrains comprenant la longitude de la Lune à midi de chaque jour (au degrés près), la date, l’heure et la minute des phases lunaires, et deux brefs pronostics pour chaque jour
– une prévision sommaire de l’année et des prévisions mensuelles détaillées.
L’almanach de 1566 présente en outre la particularité remarquable d’être agrémentée des figures en carrés concernant les quatre ingrès de l’année 1566. Les positions des sept planètes et des pointes de maisons (calculées selon la domification de Régiomontanus) sont indiquées à la minute de degré près.
Les almanachs sont mis en vente à la foire de Lyon à la Toussaint. Ensuite des colporteurs vont les vendre dans toutes les régions de France. Jusqu’à Nostradamus on se contentait dans ces almanachs de pronostiquer le temps, les récoltes et les maladies. Il s’agissait de petits ouvrages ternes et dénués d’intérêt. Nostradamus rénove complètement le genre. Dès le début de son almanach, il propose à la sagacité des lecteurs, des oracles versifiés et des énigmes qui font bientôt le tour de toutes les conversations mondaines.
Voici, à titre d’exemple, le quatrain de l’année 1566. Il est composé sous forme d’alexandrins
(vers de 12 pieds).
Aux plus grands mort, jacture d’honneur et violence
Professeur de la foi, leur état et leur secte,
Aux deux grandes églises, divers bruit, décadence,
Maux, voisins querellans, serfs d’église sans teste.
Nostradamus indique son intention dans le titre de la partie prévisionnelle « Almanach pour l’an 1566 avec ses présages et ses amples significations et explications le tout autant exactement calculé que diligemment expliqué par Maître Michel de Nostredame », Il se considère comme maître dans l’art d’interpréter de manière détaillée des configurations astrologiques précises. On verra tout à l’heure la part d’exagération que contient la phrase « le tout exactement calculé ». Néanmoins le génie de Nostradamus consiste à proposer dans un style qui reste obscur des prévisions hebdomadaires très détaillées, n’hésitant pas à formuler au passage des prévisions politiques.
Comme il est aussi à l’aise en latin qu’en français il se met tout d’un coup en plein milieu de son texte français à écrire en latin ou à citer un auteur en latin. Le célèbre astrologue précise dans le texte même de l’almanach les diverses sources auxquelles il se réfère : Démocrite, Alcabitius, Solon, Phérécides, Hippocrate, Proclus, Alzindus, Hermès Trismegiste, Haly, Albumazar, Manilius.
Nostradamus commence à écrire ses prévisions le dimanche 11 mars 1565 le jour où le Soleil entre dans le Bélier. Comme il indique également la date à laquelle il a terminé son ouvrage on sait qu’il a écrit son almanach qui ferait une bonne centaines de pages dans le temps record de six semaines.
Quand il donne le résumé de l’année 1566 il prédit à tous ceux qui sont concernés par la religion « violence, assaut et subites frayeurs » ainsi que « pertes et préjudices ». Il prédit le même sort aux honorables dames du monde. On a la surprise de découvrir au passage une petite note morale : les princes monarques qui auront mal agi envers l’un de leurs sujets s’en trouveront fort mal ».
Dès les premières pages de ses prévisions pour 1566 on trouve des prédictions catastrophiques. Il prédit par exemple :
- Famine, peste, tremblements de terre, déluge et naufrages (plus particulièrement dans le Nord et l’Ouest de l’Europe), divers conflits en Europe, en Afrique et en Asie.
- Vu la stérilité, le grain sera fort cher.
- Au printemps aura lieu un grand et épouvantable tremblement de terre au Royaume de Naples et de Sicile.
La correspondance de Nostradamus publiée par Jean Dupèbe révèle un Nostradamus qui n’a de cesse d’encourager ses clients. Autant Nostradamus pèche par optimisme dans ses consultations personnelles, autant il s’avère extrêmement pessimiste dans les prévisions de ses almanachs. Mais sur quoi se base Nostradamus pour décrire le climat général de l’année ? Sur plusieurs facteurs. D’emblée il apparaît qu’il considère comme fondamental l’analyse du thème du printemps. Pierre Brind’amour a remarqué que thème de l’ingrès de printemps 1566 est recopié des éphémérides de Carellus. Deux planètes dominent ce thème. Il s’agit de Jupiter et de Mars. Nostradamus ne justifie pas son choix. Je suppose qu’il choisit les deux planètes qui sont en aspect avec le Soleil. Jupiter à 3° de la Balance selon les éphémérides de l’époque est opposé au Soleil à 0° Bélier (orbe de 3°) et Mars à 28° des Gémeaux (toujours selon les éphémérides de l’époque) est carré au Soleil (orbe de 2°).
Il commence par interpréter la dominante jupitérienne. Il s’ensuit que tous les jovialistes (c’est-à-dire le clergé et les princes) « auront accroissements d’honneurs, de dignité et de puissance et domination et amélioreront en tout de degré en degré avec toute promesse de paix, amour, union et assurance de santé. Tout ce dont ces personnes auront besoin sera en abondance ».
Plus loin il indique que ce sont les personnes des régions et des villes appartenant au deuxième climat qui sont concernés plus particulièrement par le climat favorable de Jupiter.
« Les régions où de telles félicités adviendront seront l’Arabie heureuse, par tout alentour de la mer Tyrrhène, la Gaule Celtique, la Normandie, l’Espagne, le Portugal, la Dalmatie, etc… Les villes et cités concernées sont Tolède en Espagne, Modène en Italie, Narbonne et Avignon en France, Saint Jacques de Compostelle, Rouen en Normandie ».
On peut dire que Nostradamus connaît bien ses classiques, car il reprend ici la méthode des localisations utilisée en astrologie mondiale depuis Ptolémée. Ainsi les pays cités correspondent à ceux cités par Ptolémée dans le Tetrabiblos (voir signe du Sagittaire au chapitre 4 de son livre II).
Comme on pouvait s’y attendre, Nostradamus est beaucoup plus prolixe pour ce qui touche à Mars.
Mars démontre aussi pour les rois ou pour ceux qui gouvernent grandissime augmentation avec nouvelles acquisitions de régions. Les princes chrétiens auront une occasion manifeste d’augmenter leur royaume sur les Africains et les Asiatiques.
Mars est cause d’un grand détriment, même en plusieurs régions chaudes et sèches. Il incite ceux qui par nature sont belliqueux à la guerre, aux tumultes, aux séditions, aux combats, aux procès et querelles ; aux déprédations, aux pillages, aux assassinats et vols. Mars suscite chez les rois la colère, l’indignation et le désir de se venger des préjudices passés. En raison des querelles religieuses seront perpétrés de forts grands forfaits, d’énormes homicides, des pillages, adultères et enlèvements.
Mars étant une planète sèche, il en résulte : Grande diminution d’eaux, eaux corrompues, mort des poissons.
Il indique que ce sont les régions et des villes appartenant au troisième climat qui sont marquées plus particulièrement par le climat défavorable de Mars. Régions concernées : l’Ecosse, la Basturie, la Syrie, la Palestine, presque toute la Gaule, la Bourgogne supérieure, la Germanie, la Judée. Villes concernées : Valence en Espagne, Marseille, Naples. Là encore, Nostradamus est fidèle à l’enseignement de Ptolémée (voir dans le Tetrabiblos le signe du Bélier au chapitre 4 du livre II).
Nous venons de voir les ravages provoqués par la dominante annuelle de Mars. Mais ce n’est rien à côté de ce qui aurait pu se produire si la planète Mars avait été seule à dominer l’année : « Si Mars n’avait été accompagné de Jupiter, de telles choses seraient doublées ou triplées, la bienveillance de Jupiter venant fort heureusement corriger la malice de Mars ».
Nostradamus tient compte du fait que Mars se trouve en Gémeaux dans la Maison IX dans l’ingrès de printemps.
« Ce que sera plus à craindre et de plaindre est qu’en plusieurs endroits le peuple se viendra émouvoir en séditions et troubles : puis à la parfin il en aura du pire ; car ils seront lors de voyages, comme nous signifie Mars dans la IX et en Gémeaux ».
« Mars en IX en signe humain présage quelque grand mal par frères, sœurs, proches parents et autre de fraternité monastique et religieuse ; et sera aussi plus qu’heureux celui qui ne voyagera ni ne pérérinera ni par mer ni par terre».
La planète Saturne est également interprétée. Mais, comme ce n’est pas une dominante du thème, son interprétation se limite à sa position en maison, ici maison XI : « Et Saturne à la révolution de l’année en 11 signifie la tristesse, les échecs, les empêchements, l’abandon par les amis, les larmes dues aux amis et la rareté des opportunités, du succès et de l’utilité des choses espérées ».
Si Nostradamus interprète en priorité l’ingrès de printemps, il ne se prive pas d’interpréter également les autres ingrès, mais en ayant toujours présent à la mémoire les informations données par l’ingrès de printemps. Pierre Brind’amour – à qui l’on doit une remarquable étude sur Nostradamus – nous précise que ces trois thèmes d’ingrès ne sont plus empruntés aux éphémérides de Carellus mais sont recopiés des éphémérides de Léowitz.
Pour ce qu’en la figure de l’été Saturne et Mars sont conjoints : l’un menace de fièvres qui procéderont de froid et de grandes obstructions et Mars pour son ardeur et son inflammation fera des maladies entremêlées de froid et de chaud qui molesteront gravement les humains. Les régions et provinces du second climat ne seront guère touchées parce que Jupiter y sera en vigueur. Sa position en IV tout l’été présage augmentation de tous biens du monde aux hommes avec louable santé. Toutefois Mars à la fin de la II entrant dans la III signifie qu’en diverses régions du monde et surtout sous le troisième climat l’on ôtera les biens et même à plusieurs le bien et la vie, sans raison !
Mercure en cette révolution de l’été étant à l’ascendant signifie une bonne situation et du profit pour les marchands et les scribes ».
S’agissant du thème de l’automne, Nostradamus est bien sûr frappé par l’amas en maison VI :
« Saturne dans la VI en l’automnale révolution présage une fort mauvaise volonté et désobéissance des serviteurs et servantes envers leurs seigneurs et maîtres ; avec plusieurs maladies et infirmités et semblables nuisances, divers désagréments en ce qui concerne les petits animaux ».
C’est pendant cette saison qu’a lieu l’éclipse la plus importante de l’année, une éclipse de Lune. Nous reviendrons toute à l’heure sur ce thème de l’éclipse.
Venons en au thème de l’hiver. Là encore Nostradamus interprète ce thème en fonction des dominantes du thème du printemps. Le fait que Jupiter soit en II et Mars en IV l’intéressent au plus au point :
« Et en vérité Jupiter, dans cette quatrième révolution de l’année, jusqu’au milieu du mois de mai 1567, annonce la passion des prélats et l’intérêt de ceux qui brillent en dignité dans les affaires ecclésiastiques, pour l’acquisition et l’obtention d’argent ; (il annonce) des biens licites, avec retenue de l’âme(…). En cet endroit Jupiter vient à signifier les nobles, les juges, présidents, conseillers, évêques, consuls, gens de religions et les plus nobles citadins, lesquels Jupiter préserve de mal, d’inconvénient, de peur, de crainte, d’insulte, de toute mauvaise mort et violence.
Et d’autant que Jupiter nous présage de bien dans toute cette révolution, autant et plus sans comparaison nous présage de mal Mars en Sagittaire et dans la quatrième maison du ciel (…).
Mars en ce lieu et en cette saison hivernale menace (de porter) la guerre presque dans toute la Germanie et dans les régions occidentales : et (il indique) qu’il y aura disette de victuailles et de vin dans ces régions. Et il y aura mal et empêchement, et la mort parmi les habitants de cette région, et parmi les négociants. Et il y aura là des faiblesses, des toux et des douleurs aux yeux ; les vers tueront les enfants, et blesseront même les autres.
Nostradamus tire du thème de l’hiver une prévision pessimiste sur l’avenir de l’astrologie : « Sera défendu la divination au jugement des astres : en cet endroit je trouve tant de contradictions à venir pour trop de personnes qui s’en voudront même et en abuseront que ce m’a totalement dégoûté d’y mettre aucun de mes enfants, bien qu’ils s’y adonnent naturellement » (…).
Il est dit dans l’interprétation du thème de l’hiver que Saturne est stationnaire en maison I et que Jupiter se trouve en maison III. Or Saturne est en maison XII et Jupiter en maison II. Est-ce une erreur de la part de Nostradamus ? Ne faut-il pas plutôt supposer qu’il pratique ici, comme dans l’interprétation d’un de ses thèmes en astrologie individuelle, la domification zodiacale, c’est à dire qu’il fait coïncider à partir de l’ascendant le signe ascendant en son entier avec la maison I puis le signe qui suit avec la maison II, etc.
L’idée de tirer des pronostics de la conjoncture astrale au moment des équinoxes et des solstices ne provient pas Ptolémée car le prince des Astrologues préconisait d’interpréter non le thème de chaque saison mais la syzygie précédant le changement de saison. Cette idée est très ancienne et repose sur la croyance que le Soleil était à 0° Bélier à la naissance du monde. L’un des premiers astrologues qui ait véritablement pratiqué l’interprétation des thèmes anniversaires de la création du monde semble être l’astrologue juif Masha’Allah (740-815) qui écrivait des traités astrologiques en arabe à la cour des premiers califes abbasides de Bagdad.
Nous venons ainsi de voir l’importance fondamentale des quatre ingrès de l’année dans l’astrologie mondiale de Nostradamus. On remarque également qu’il attache une très grande importance à l’éclipse de l’année. S’il est une constante en astrologie mondiale, c’est bien le recours aux éclipses. Les babyloniens interprétaient déjà les éclipses, le plus souvent avec une connotation négative. Il n’est pas étonnant que Nostradamus qui est pessismiste dans ses interprétations de mondiale s’intéresse aux éclipses. L’éclipse de Lune du 28 octobre qui dure 3h45 est déjà annoncée dès le mois de septembre : «l’eclipse ce ne sera sans la mort de quelque grand maritime et autres forts grands en la monarchie terrestre. Nous prierons Dieu que ce qui est présagé de bon nous soit sauvé et ce qui est de mal converti en bien ».
Nostradamus note une ressemblance entre le thème de l’éclipse et la figure automnale. On remarquait un amas en maison VI dans la figure automnale. Dans le thème de l’éclipse Mars est en conjonction du Soleil en maison VI et en opposition de la Lune en Maison XII. « Cette éclipse présage de merveilleux et épouvantables événements par peste, famine, guerre, tremblements de terre, naufrages et inondations. Les marchands seront grandement affligés tant par mer que par terre et encore plus ceux qui pour religion, pour délices et voluptés voyageront. Aux femmes enceintes cette éclipse présage périls et dangers de morts à leurs enfants ».
« Et pour ce que la principale constitution significative de cette éclipse soit dans la douzième maison en opposition de Mars je me doute fort (si Dieu n’y met la main) qu’un nombre fort grand de personnes en partie bannies et exilées volontairement et involontairement, ne pouvant prendre patience de ce qu’aura été ordonné par leurs princes et souverains, voudront entreprendre quelque trop grande conjuration, comme de vouloir obscurcir leur Soleil, ce qu’ils ne feront jamais autant comme petites mouches. Car leurs monarques se dresseront en telle puissance accompagnée d’une fureur terrible, de sorte qu’ils seront du tout contraints de soutenir les dernières persécutions et calamiteuses misères de plusieurs peines et afflictions, qui de tous côtés les viendront environner ».
L’éclipse est ici interprétée en fonction de la maison dans laquelle elle se trouve. La suite du texte le confirme puisque maintenant Nostradamus interprète l’amas de planètes en maison VI :
A messieurs de cour tant du magistrat que courtisan qui viennent en délices et volupté leur est menacé en leur état être grandement malheureux et plus encore cent fois au sexe féminin ne comprenant une infinité de nouvelles maladies, misérables et calamiteuses à plusieurs anciens pour ce que dans la 6ème maison qui est Vierge tant de planètes se trouvent conjointes ensemble, lesquelles présagent diverses et dangereuses maladies et afflictions du corps, comme rétention d’urine, gravelle, graves douleur de l’épine dorsale et des reins, grande inflammation du foie, flux de sang par diverses parties du corps tant par les veines jugulaires que dysenteries, fluxion du nez, difficultés de respiration, courte haleine, préparation à hydropysie, phtisie, hectique.
Beaucoup de princes, Seigneurs, gentilshommes et Rois et autres souverains tant spirituels que temporels se querelleront et s’attaqueront à cause des droits et juridictions de leurs terres, des limites, des domaines, des seigneuries et puissances. Ils mettront en danger leurs femmes et enfants. Et vu qu’ainsi que les astres le présagent il serait très bon et salutaire qu’avant de faire luire le feu et le fer ils s’accordent les uns les autres. Les astres toutefois démontrent ainsi devoir advenir. Et pour ce que Jupiter et Vénus planètes bénéfiques sont conjointes cet accord n’est possible que jusqu’au mois de Mars prochain.
Outre les thèmes des quatre saisons et de l’éclipse, Nostradamus interprète également certains aspects planétaires.
Il s’intéresse par exemple en Septembre à la conjonction Jupiter et Mars qui a lieu en Balance : « Aussi dans ce mois de septembre et le reste de l’an ensuivant menace d’une grande commotion et diversité des Rois les uns avec les autres principalement par le fait de mariages, de noces, de promesses royales et de suprême conséquence. Devers la fin de l’an la plupart des mariages accordés et sera la plupart de la chrétienté unie ensemble en paix, amour, union et parfaite concorde ».
Rares sont les prévisions précises de Nostradamus. C’est pour cela qu’il est tout particulièrement intéressant de relever sa prédiction à propos des Turcs pour le mois de Juillet : « La présence de Mars dans le Lion signifie grandissime detriment, ruine et perte innombrable pour la nation turque tant en expéditions navales que terrestres. (…). Et par tout le mois de Juillet est démontré grand detriment aux Arabes et à toutes leurs armées. Et par apparences très manifestes par cette conjonction en 21 an, 7 mois, 14 jours, commençant à Janvier est démontré le commencement du changement de Byzance en Thrace par grandes divisions.
Regna Byzantino undabunt sanguine multo
Ad regnum quisquis venit ab exilio.
Les royaumes seront inondés de sang byzantin ;
un exilé vient occuper le royaume ».
La prédiction est précise : les défaites subies par les arabes en juillet 1566 annoncent un grand changement 21 ans et demi plus tard c’est-à-dire en janvier 1586. Mais continuons le texte : « Là où est démontré translation de règne : et pour ce est démontré la décadence Mahometane au bout de 960 ans : avant le terme de 72 ans commence quelque grande discorde entre la teste blanche et la bleue, ou entre la blancheur et couleur de cerulée : et sera quelque grandiss événement à eux ».
Nous avons là un passage qui évoque le grand cycle Jupiter-Saturne. Les conjonctions Jupiter Saturne ont lieu tous les 20 ans et se répètent selon Albumasar généralement 12 fois dans la même triplicité (240 ans). C’est au bout de 960 ans que la conjonction Jupiter Saturne se reforme dans le même élément. L’Hégire ayant eu lieu en 622 c’est à partir de 1582, 960 ans plus tard, que commence la décadence musulmane. Nostradamus imagine qu’elle sera provoquée par une querelle entre les Turcs (la tête blanche) et les Perses (la tête bleue).
L’astrologie mondiale de Nostradamus repose au moins sur l’utilisation conjointe de trois techniques différentes : les ingrès des saisons, les éclipses, le cycle de 960 ans de Jupiter-Saturne sans compter l’interprétation des aspects planétaires qui se produisent au fil des semaines. En fait Nostradamus reste très classique, s’appuyant sur ce qui est dit dans les textes. Il n’appartient pas du tout à la lignée des astrologues qui s’appuient sur la réalité astronomique. A son époque Gauric et Cardan considèrent que les conjonctions Jupiter-Saturne ne se reproduisent pas douze fois mais seulement dix fois dans la même triplicité. L’édition des tables alphonsines établie en 1545 par Luc Gauric donne la date des 80 conjonctions Jupiter-Saturne à partir de l’an 13 en Sagittaire jusqu’à celle de 1582 en Bélier. Nostradamus ignore cette approche nouvelle du cycle Jupiter-Saturne et préfère s’appuyer sur la longue tradition des auteurs arabes. On peut dire, par ailleurs, que Nostradamus n’aimait pas entrer dans les détails. Son génie est de trouver un fil conducteur (dans le cas de cet almanach 1566 la dominante martienne et jupitérienne) et de s’y tenir.
Nous avons parlé de la manière dont procédait Nostradamus. Mais les thèmes sur lesquels ils s’appuyaient étaient-ils correctement calculés ? Nostradamus possède plusieurs versions des éphémérides de son époque et utilise les données de ces éphémérides. Mais il ne fait pas un usage correct des données qu’il emprunte. Lorsqu’il recopie des éphémérides de Carellus le thème de l’ingrès de printemps, il donne certes des positions précises à la minute près mais il ne se rend pas compte que le thème donné est calculé pour Venise et qu’en conséquence il n’est pas valable pour la France. Il en va de même pour ses heures de nouvelle lune, de pleine lune et de quartiers de lune. Elles sont tirées des éphémérides de Moletius qui sont calculées, elle aussi, pour Venise. Nostradamus n’a pas compris qu’il suffisait de soustraire l’écart des longitudes pour obtenir l’heure où la syzygie a lieu à Lyon ou Paris. Pourtant il était clairement indiqué dans les classiques de son époque (par exemple dans les Canons d’Oronce Fine) que l’on devait convertir les données en fonction de la ville où avait lieu l’observation. Tout en se donnant des airs de compétence, Nostradamus se trompait quand il transcrivait ses données horaires. Contrairement à Gauric ou à Cardan qui étaient de véritables « techniciens » de l’astrologie, Nostradamus est un littéraire fâché avec les chiffres qui n’entend rien aux calculs.
Quoi qu’il en soit de la justesse de ses calculs, il est intéressant de se demander si ses prévisions étaient justes. Que s’est-il passé réellement en 1566 ? Janvier 1566 a été marqué à Rome par l’élection et le couronnement du pape Pie V. Le 6 Septembre a eu lieu le décès de Soliman le magnifique. Par ailleurs il y a eu au Pays Bas la révolte contre le pouvoir espagnol. Nostradamus n’a rien vu concernant le pape ni la révolte au pays Bas. Certes il parlait d’événements en Juillet concernant les Turcs et les Perses. Et on pourrait à première vue considérer qu’il avait prévu à deux mois près la mort du sultan Soliman le magnifique qui régnait depuis 46 ans. Mais en réalité il n’en est rien car il n’y a pas eu, suite à ce décès, la décadence annoncée dans la prévision.
Avant de terminer quelques mots sur les quatrains des centuries. En même temps qu’il écrit ses prévisions annuelles, Nostradamus rédige les quatrains de ses Centuries. Il cherche à travers ces quatrains à révéler le sens de l’histoire. Signalons au passage que la connaissance de la production astrologique de Nostradamus et des livres qui ont inspiré Nostradamus aide à comprendre certains quatrains. Nous venons de parler de la prédiction concernant les Perses et les Turcs. Plusieurs quatrains y font référence. Rappelons que les vers des Centuries sont de dix pieds.
Ainsi le quatrain IX,73
Dans Fez entrez Roy celulee Turban,
Et regnera moins evolu Saturne :
Roy Turban blanc Bizance vainqueur ban,
Sol, Mars, Mercure ensemble pres la hurne
En clair deux rois orientaux régneront : le roi au turban bleu ciel régnera à Fez tandis que le roi au turban blanc régnera à Byzance et cela aura lieu d’ici moins de trente ans (Saturne), la conjonction Soleil, Mars, Mercure ayant lieu dans l’Urne (le Verseau) en janvier 1586. Le passage de l’almanach aide à comprendre ce quatrain.
Nostradamus s’inspire, pour prévoir le futur lointain, de la vision d’Ibn Ezra et de Trithème qui découpe l’histoire en périodes de 354 ans, chacune de ces périodes étant régie par une planète. En 1555 on sort de la 19ème période de 354 ans marquée par Mars et on vient d’entrer dans la 20ème période régie par la Lune. Trithème avait prophétisé sur la fin de la 19ème période. Nostradamus se devait de prévoir les événements à venir de la 20ème période (1533-1887), voire de la 21ème période (1888-2242). Des passages de la préface de ses 353 premiers quatrains ainsi que toute une série de ses quatrains décrivent les grands changements qui vont survenir pendant cette période lunaire. Ces grands changements, prévus plus de 200 ans à l’avance, se sont trouvés confirmés par les événements.
“ A l’avènement du septième millénaire (probablement l’année 1792 dans la chronologie de Nostradamus) les adversaires de Jésus-Christ et de son Eglise commenceront plus fort de pulluler ”
“ Les royaumes de l’avenir se montreront sous des formes tellement insolites parce que leurs lois, leurs doctrines et leurs mœurs seront tellement changés par rapport aux présentes au point même qu’on les pourrait dire diamétralement opposées ”
“ une immense régression des lettres sans exemple dans le passé se prépare ”
Las qu’on verra grand peuple tormenté
Et la loi sainte en totale ruine
Par aultres loyx toute Chrestienté,
Quand d’or d’argent trouve nouvelle mine. I,53
La grande perte las que feront les lettres
Avant le cicle de Latone parfaict,
Feu, grand deluge par ignares sceptres
Que de long siecle ne se verra refaict. I,61
Nostradamus était tellement persuadé de l’importance considérable des changements à venir qu’il n’a pas écrit ses Centuries pour ses contemporains mais pour les générations à venir “ Je pris le parti de m’adresser non plus à quelques-uns mais au peuple entier des hommes et à l’époque qui aura vu son accession à la chose publique ”
Ce n’est que bien des années après sa mort, sous l’impulsion de Jean-Aimé de Chavigny, que les Prophéties ou Centuries passèrent sur le devant de la scène, reléguant au second plan les almanachs qui furent pourtant de son vivant l’essentiel de sa production littéraire. Nostradamus, en s’adressant aux générations futures, a gagné son pari car il faut reconnaître que celles-ci le lui ont bien rendu.
CONCLUSION
Nostradamus s’est rendu célèbre de son vivant grâce aux prévisions de ses almanachs. Peu importe si les données sur lesquelles il s’appuyait n’étaient pas de la plus grande précision. Nostradamus était passé maître dans l’art de rédiger les prévisions. Au niveau technique il ne s’embarrassait pas de détails, se contentant de l’essentiel. Mais il savait toucher les cœurs. Mêlant la peur et le sensationnel, il était capable d’écrire avec une faconde intarissable. On n’avait jamais rien vu de tel en Europe. Ce succès des almanachs a préparé cet extraordinaire succès posthume de ce texte mystérieux et prophétique des Centuries qui n’a cessé d’être interprété et réinterprété.
Annexe I
Voici la description de cet Almanach (d’après l’analyse de Pierre Brind’Amour qui a consulté l’original)
- page titre
- un premier calendrier et ses quatrains composés d’alexandrins comprenant le signe occupé par la Lune à midi, la date et l’heure des phases lunaires, de brefs pronostics et, innovation remarquable, une page blanche en face de chaque page du calendrier, réservé aux notes personnelles
- une nouvelle page titre
- la déclaration des âges du monde, des fêtes mobiles, des noces et des éclipses
- un second calendrier et ses quatrains comprenant la longitude de la Lune à midi de chaque jour (au degrès près), la date, l’heure et la minute des phases lunaires, et deux brefs pronostics pour chaque jour
- des distiques latins de Chevigny
- une page blanche
- l’épitre dédicatoire
- une pronostication sommaire sur l’année
- une troisième page titre comportant des vers latins inspirés de Manilius
- une longue pronostication fondée sur les thèmes des saisons, des éclipses et des phases lunaires
L’ouvrage fait 72 folios (79 si l’on compte les folios laissés en blanc dans la première partie).
Bibliographie
Amadou Robert, Le Dossier Nostradamus, ARRC, 1986
l’Almanach pour l’an M.D.LXVI. avec ses amples significations & explications, composé par Maistre Michel de Nostradame Docteur en médicine, Conseiller et Médecin ordinaire du Roy, de Salon de Craux en Provence, imprimé à Lyon, par Anthoine Volant et Pierre Brotot en Novembre 1565.
Brind’Amour Pierre, Nostradamus astrophile, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 1993
Dupèbe Jean, Nostradamus Lettres inédites, Droz, 1983
Fine Oronce, Les canons, Paris, Regnaud chaudière, 1551
Gauric L., Tables alphonsines, Paris, 1545
Herschel James, A History of Western Astrology, American Federation of Astrologers,1996
Nostradamus, Les prophéties, Lyon, 1555 (fac similé)
Ptolémée Claude, Le livre unique de l’astrologie, Nil, 2000