L’avènement d’une théologie astrale

Née de la rencontre de l’esprit grec et du double héritage babylonien et égyptien, l’astrologie connaît un vif succès à Athènes, puis à Rome. D’abord réservée aux prêtres, elle se démocratise et s’individualise, en explorant les liens entre l’homme, le cosmos et les dieux.


S’il n’existe nulle trace de l’astrologie au siècle de Périclès, celle-ci devient en revanche très présente à partir des conquêtes d’Alexandre. Le prêtre astrologue babylonien Bérose, installé dans l’île de Cos, fait connaître aux Grecs l’astrologie mésopotamienne dans le deuxième quart du IVe siècle avant notre ère. Au même moment, l’Égypte incorpore cette astrologie venue d’Orient à ses croyances et à ses propres connaissances astronomiques. L’astrologie grecque va naître de la rencontre de l’esprit grec et du double héritage babylonien et égyptien. Le savoir astrologique était jusque-là réservé aux prêtres ; il sera, grâce aux Grecs, accessible à tous. Les premiers textes astrologiques sont attribués au roi Nechepso et à son grand prêtre Petosiris. Au fil des ans, les diverses écoles philosophiques, tout particulièrement l’école stoïcienne, vont enrichir ces textes fondateurs. Après s’être développée dans la Grèce hellénistique, l’astrologie connaîtra dès le IIe siècle avant notre ère un vif succès à Rome. Bien que l’accueil réservé aux astrologues soit, dans un premier temps, plutôt négatif (ils sont expulsés en -139), l’état d’esprit général évolue rapidement, à tel point que dès la fin de la République, Rome se met à intégrer l’astrologie à sa propre culture – toutes les couches de la société s’y adonnant, notamment la classe politique.

 

Aux quatre coins de l’empire
L’astrologie est rapidement présente aux quatre coins de l’empire. La découverte dans les Vosges, en 1968, de deux zodiaques portatifs en ivoire datant du IIe siècle (l’un se trouve aujourd’hui au musée d’Épinal, l’autre à celui de Saint-Germain-en-Laye) témoigne de la présence de l’astrologie au sanctuaire de Grand, dédié au dieu guérisseur Apollon-Grannus. Il est tout à fait intéressant de constater que certains pèlerins demandaient à cette époque l’interprétation de leur thème astrologique sous l’angle médical. Comment expliquer le succès de cette astrologie gréco-romaine qui va se perpétuer sans modification majeure jusqu’au XVIIe siècle ? L’origine d’une telle réussite et d’un tel essor est incontestablement liée à son contenu à la fois scientifique, philosophique et religieux. La science grecque a déjà atteint à la période hellénistique un bon niveau de développement. Les découvertes effectuées sur le plan astronomique sont utilisées en astrologie. Les Mésopotamiens décrivent le ciel, s’intéressent plus particulièrement aux phénomènes célestes irréguliers – souvent générateurs de peur – comme les comètes ou les éclipses. Les Grecs préfèrent étudier les phénomènes célestes qui se reproduisent régulièrement, mais ils cherchent avant tout à les expliquer. Ils imaginent, pour rendre compte du fonctionnement de l’univers, un modèle sphérique, et grâce à l’invention de la sphère, ils parviennent à prévoir de manière de plus en plus précise la position des planètes et des étoiles. Ils ne repèrent plus les planètes par rapport aux étoiles, mais les situent sur l’écliptique qu’ils décomposent en douze parties égales de 30° : « Sur le cercle oblique que l’on appelle le cercle des figures, se trouvent le Cancer, puis le Lion, et ensuite la Vierge ; puis les Pinces et le Scorpion lui-même, et le Sagittaire, et le Capricorne ; et à la suite du Capricorne, le Verseau, puis les deux Poissons étoilés, et à leur suite le Bélier, puis le Taureau et les Gémeaux », explique Aratos de Soles dans les Phénomènes, au IIIe siècle avant notre ère. Ce texte du poète et astronome grec confirme le fait que les signes du zodiaque utilisés actuellement existaient déjà à cette époque.

 

Une chaîne symbolique
À cette division du mouvement des planètes sur le zodiaque en douze, les astrologues grecs ajoutent une division de la sphère locale également en douze : ce sont les douze « maisons » – la première étant l’ascendant qui revêt une importance capitale dans toute interprétation. Dès l’origine, astronomie et astrologie sont intimement liées. Celui qui interprète un thème se doit d’être autant astronome qu’astrologue. Dès cette époque, les bases de l’astrologie occidentale sont établies. Le contenu scientifique a certes joué un rôle primordial, mais ce qui explique encore plus le succès de l’astrologie, c’est son contenu religieux. En s’intéressant à l’être humain dès sa naissance (et même sa conception) jusqu’à sa mort, en montrant à quel point il est « relié » à l’univers qui l’entoure, l’astrologie témoigne de l’existence d’un ordre, sinon d’une divinité. Les Grecs ne disent ni « Saturne » ni « Vénus », mais ils parlent de « l’astre de Saturne » ou de « l’astre de Vénus », car pour eux, l’astre a une parenté étroite avec le dieu ou la déesse. Le philosophe et archéologue Franz Cumont a montré que nous sommes ici en présence d’une théologie astrale. Autant l’homme moderne sépare d’emblée le ciel et la terre, autant les Grecs et les Romains relient l’homme, l’univers et les dieux. Cicéron, dans un passage célèbre de la République, témoigne de cette vision grandiose commune aux Grecs et aux Romains.
Les astrologues mésopotamiens ne pratiquaient qu’une astrologie collective et naturelle. Ils s’intéressaient uniquement à ce qui préoccupait le roi : les guerres, la météorologie, les phénomènes naturels (séismes, inondations). C’est l’invention par les Grecs de l’idée de liberté et de démocratie qui rend possible le développement d’une astrologie individuelle. Les figures qui apparaissent dans le ciel à l’instant de la naissance permettent aussi bien de décrire le tempérament et le caractère du citoyen grec ou romain que d’évaluer la durée de sa vie ; aussi bien de prévoir ce qui concerne ses biens, sa vie sociale, sa vie professionnelle, sa vie affective, ses relations avec ses amis que ses voyages, les maladies auxquelles il est prédisposé. Il est naturel pour les astrologues grecs et romains d’établir un lien entre le ciel et la terre. Saturne en correspondance avec la « maison XII » ou les signes du Capricorne et du Verseau relève d’une même chaîne symbolique que le plomb, la couleur noire, le tempérament mélancolique, le système osseux, la vieillesse, voire même le samedi (jour de Saturne). Il en va de même pour chacune des autres planètes. « L’univers est un corps unifié fait de parties qui collaborent. Tout conspire, tout sympathise » : ainsi s’exprime, au Ier siècle avant notre ère, Posidonios, ce stoïcien tout à la fois féru de science, de philosophie et d’astrologie.

 

Une croyance polémique
On connaît l’esprit critique des Grecs. Pas étonnant que partisans et adversaires de l’astrologie se soient constamment affrontés. Cicéron a montré à quel point ils ont débattu à propos de l’astrologie. Si les disciples de Platon et les sceptiques ont généralement tendance à refuser l’astrologie, la plupart des stoïciens y croient profondément. Le savant grec Claude Ptolémée (IIe siècle) s’inspira d’ailleurs beaucoup des travaux de Posidonios, qui avait rendu possible l’essor de l’astrologie en lui donnant ses lettres de noblesse. La première œuvre astrologique connue n’est pas rédigée en grec. C’est un texte latin écrit en vers en -10 par l’écrivain romain Manilius. Les Astronomiques n’est pas à proprement parler un traité d’astrologie, mais cette œuvre, tout à fait poétique, fourmille de descriptions concernant la symbolique des constellations, des signes et des maisons. L’auteur, à de nombreuses reprises, affirme que tout s’explique par les configurations astrales. Fort heureusement, bien des contemporains de Manilius ainsi que nombre d’astrologues ne partagent pas ce point de vue fataliste. S’appuyant sur les travaux de l’astronome astrologue Hipparque, Ptolémée indique dans L’Almageste – l’ouvrage de référence de l’astronomie jusqu’au XVIIe siècle – comment calculer de manière précise la position de chacune des planètes.

 

Ptolémée, la référence universelle
Si dans L’Almageste, il observe minutieusement le mouvement de chacune des planètes, il interprète dans son ouvrage astrologique, le Tetrabiblos, la moindre variation dans le mouvement de chacune des planètes. Ainsi, quand en début de cycle la planète est à nouveau visible, elle gagne en puissance et donne de la force, de la sûreté et de la vivacité. Au contraire, en fin de cycle, quand elle va devenir invisible, elle perd de sa vigueur sur un plan physique, mais développe davantage les qualités qui prédisposent à la philosophie, à l’interprétation des rêves, à l’astronomie et l’astrologie. Non seulement Ptolémée présente l’astrologie avec rigueur et de manière synthétique, mais il met au point une véritable méthode d’interprétation et formule cette interprétation à travers la vision hippocratique des tempéraments (lymphatique, sanguin, bilieux et nerveux) et des qualités élémentales (humide, chaud, sec et froid). Ainsi, tout début de cycle est en rapport avec la croissance de « l’humide » et la richesse du tempérament « sanguin », comme toute fin de cycle s’apparente à l’immobilisme du « froid » et aux contradictions du tempérament « nerveux ».
Très vite, l’œuvre de Ptolémée va faire autorité et on aura de cesse de la recopier et de la commenter. A partir du IXe siècle, les savants arabes et persans vont traduire – et nous transmettre – les ouvrages grecs, notamment ceux de Ptolémée. Certains d’entre eux vont s’adonner à l’astrologie à partir de ces textes, ajoutant au passage de judicieux commentaires. D’autres – comme Abû Ma’shar – vont, tout en s’inspirant de ces textes, apporter d’intéressantes innovations, notamment l’explication des grands événements de l’histoire par les retours des cycles de Jupiter et de Saturne.


Pour aller plus loin
■ Cicéron, De Divinatione (Belles Lettres, 1992).
■ Claude Ptolémée, Le Livre unique de l’astrologie (Nil, 2000).
■ Auguste Bouché-Leclercq, L’Astrologie grecque (Leroux, 1899).
■ Franz Cumont, Astrologie et religion chez les Grecs et les Romains (Institut historique belge de Rome, 2000).
■ Béatrice Bakhouche, L’Astrologie à Rome (Bibliothèque d’études classiques, 2002).

 

Article publié dans le n° 42 du « Monde des Religions » paru en juillet 2010

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Yves Lenoble